Les tendances d'investissement 2024-2025
pourquoi 2024-2025 marque un tournant pour les family offices et les fonds
À l’heure où le coût du capital reste élevé et où les chaînes de valeur se reconfigurent, le cœur battant du capital-investissement français s’entend plus que jamais du côté des PME et des ETI.
Les chiffres 2024 le confirment : après l’atterrissage de 2023, l’activité repart, mais différemment. Les fonds réinventent leurs montages, les family offices accélèrent en « direct deals », et le financement s’hybride entre dette bancaire, dette privée et aides publiques orientées transition.
En toile de fond : décote sur certaines valorisations, explosion des marchés « secondaires », montée en puissance des exigences ESG (CSRD) et ciblage sectoriel plus tranché.
1) Reprise sélective et retour du dealflow… mais pas à n’importe quel prix
Selon France Invest, l’industrie du capital-investissement en France a investi 36,9 Md€ en 2024 (+13 % vs 2023) pour 2 881 entreprises et projets d’infrastructures.
Les levées de fonds se sont établies à 38,9 Md€ (+9 %) et les cessions à 12,8 Md€ (+42 %).
Autrement dit : le marché s’est « réouvert », mais discipliné par les taux et la prudence des comités d’investissement. Pour les PME-ETI, cela se traduit par des processus plus exigeants et des structures de deals plus adaptées à la génération de cash plutôt qu’à la seule croissance top-line.
Cette vigilance s’observe aussi côté prêteurs. Le marché de la dette privée, devenu un pilier des transmissions et des opérations de croissance externe, a vu sa collecte ralentir en 2024 (–21 % vs 2023 pour les fonds français), alors que les investissements se sont globalement maintenus : l’offre est plus sélective, mais bien présente pour des dossiers solides.
Les conditions de pricing restent tendues : l’indice « Unitranche France » d’Aether FS montre un rebond des marges au T4 2024 (1,55 % par tour de levier, en hausse par rapport au trimestre précédent). Concrètement, pour un leverage donné, la prime exigée par les prêteurs demeure au-dessus des niveaux 2021-2022, ce qui pousse dirigeants et actionnaires à arbitrer plus finement entre dilution et endettement.
2) Family offices : du « multi-asset » au « hands-on » sur les PME-ETI
En 2024, les family offices français et européens ont renforcé leur goût pour les actifs réels et les thématiques résilientes (santé, industrie, énergie) tout en gardant un biais technologique.
👉 Le 10e baromètre de l’AFFO (réalisé par EY) situe ainsi :
Tech (63 %)
Santé (49 %)
Immobilier (41 %)
Industrie (33 %)
Énergie (31 %)
Ce panorama conforte une tendance de fond : la volonté de couples « rendement/pertinence stratégique » moins corrélés aux cycles boursiers, avec des tickets en direct sur des PME-ETI pouvant bénéficier d’un apport patient, de réseaux commerciaux et d’un accompagnement pragmatique du management.
Deux mouvements ressortent pour 2024-2025 :
Montée des club deals et du co-investissement aux côtés de gérants de private equity : les familles veulent réduire les couches de frais, garder de la visibilité et accélérer leur courbe d’apprentissage opérationnelle. Plusieurs études et retours de marché soulignent cette dynamique, y compris dans les segments small/mid-cap très friands de build-up.
Élargissement du spectre sectoriel, avec une appétence pour la réindustrialisation (robotique, supply-chain, composants, maintenance), la cybersécurité et l’IA appliquée (efficacité opérationnelle, copilotes métiers), ainsi que les technologies de décarbonation (efficacité énergétique, industrie bas-carbone, économie circulaire). Les priorités publiques (France 2030) et le pipeline de projets soutenus par Bpifrance créent des points d’entrée et des effets d’entraînement pour les capitaux privés.
3) Les fonds : minoritaires de croissance, carve-outs… et une soupape nommée « secondaires »
Côté fonds, 2024 a validé un triple virage :
Plus de flexibilité dans la prise de participation : les opérations minoritaires de croissance (growth/minority), jadis perçues comme moins « pures » par certains buy-out houses, se démocratisent quand les dirigeants veulent préserver le contrôle tout en accélérant un capex, un M&A de niche ou une internationalisation.
Carve-outs et spin-offs : la quête de productivité et de recentrage de grands groupes crée un flux d’actifs « orphelins » à fort potentiel dans des mains entrepreneuriales, une aubaine pour les ETI et les fonds mid-cap.
GP-led secondaries / continuation funds : face à un marché des sorties encore irrégulier, les gérants prolongent la création de valeur sur des « trophy assets » via des fonds de continuation, offrant de la liquidité aux LPs sortants tout en gardant le volant.
👉 Le phénomène est massif : près de 150 Md$ de volume sur le marché secondaire mondial en 2024, avec une hausse marquée des GP-led et des single-asset. La France, avec des acteurs comme Ardian, figure parmi les épicentres.
Ce « plancher » de liquidité stabilise les PME-ETI détenues par des fonds : moins de ventes opportunistes, plus de temps pour achever des plans de transformation (digitalisation, pricing, excellence opérationnelle, décarbonation), et plus d’alignement avec des horizons réalistes de création de valeur.
4) Dette privée : un partenaire devenu structurant pour les transmissions ETI
La dette privée est désormais centrale, tant pour les opérations sponsorisées que pour les financements non-sponsorisés de PME en hyper-croissance.
Malgré un ralentissement de la collecte en 2024, la profondeur du marché français et européen demeure.
Tickets unitranche adaptés aux ETI.
Produits mezzanine ou PIK mobilisés dans des configurations complexes (build-ups rapides, capex lourds).
L’arbitrage coût / rapidité / flexibilité joue en faveur des fonds de dette, capables d’embarquer des covenants sur-mesure et des incitations liées à des KPI, notamment écologiques.
👉 Pour 2025, la détente monétaire attendue pourrait élargir le champ des possibles, mais les prêteurs resteront focalisés sur la conversion cash et la résilience des marges.
5) Rôle d’entraînement de l’État actionnaire et de Bpifrance
Le « mix » français est singulier : la présence d’un acteur public-privé, Bpifrance, qui irrigue l’écosystème par le financement, l’investissement direct et l’accompagnement.
En 2024 : 60 Md€ injectés dans l’économie.
Capital innovation en recul (–15 % à 572 M€) mais toujours substantiel.
Accélération des dispositifs climat/transition (prêts verts, greentech).
L’Initiative Tibi (phase 2) continue de canaliser l’épargne institutionnelle vers les technologies de rupture (late-stage, growth, deeptech). Pour les family offices, c’est une opportunité de co-investissement ; pour les PME-ETI, une meilleure visibilité des pools de capital disponibles selon leur maturité.
6) ESG, CSRD : de la contrainte au différenciateur compétitif
La directive CSRD, en vigueur progressivement dès 2024-2025, bouleverse l’agenda de gouvernance :
Grandes entreprises déjà soumises à la NFRD : reporting dès 2024.
Extension aux autres grandes entreprises en 2025.
ETI/PME cotées d’ici 2027.
👉 Pour les PME-ETI, l’enjeu dépasse la conformité : meilleure bancabilité, conditions de dette améliorées via KPI, attractivité M&A renforcée.
Les fonds et family offices incitent à formaliser cartographies de risques, trajectoires carbone et gouvernance ESG : ces éléments impactent directement prix et délais de closing.
7) Secteurs gagnants : transition, industrie, santé, cybersécurité et IA appliquée
Transition & industrie : réindustrialisation, automatisation, électrification, circularité → gains de productivité et réduction des risques.
Santé : vieillissement, souveraineté industrielle, digitalisation des parcours → mix défensif/innovant apprécié par les family offices.
Cybersécurité & IA appliquée : moteurs de résilience et de productivité mesurable → valorisations robustes malgré les taux élevés.
8) Qu’attendre de 2025 ? Cinq convictions pour les dirigeants de PME-ETI
Le prix de l’argent cessera de monter, mais la discipline restera.
Le marché secondaire continuera de fluidifier les sorties.
Les family offices poursuivront leur offensive « direct/club ».
Les politiques publiques resteront catalytiques (France 2030, Bpifrance, Tibi).
ESG/CSRD deviendra une variable explicite de valorisation.
9) Conseils pratiques aux dirigeants et actionnaires de PME-ETI
Préparez vos « équations de création de valeur ».
Ouvrez le jeu des investisseurs (fonds, family offices, industriels, dette privée).
Misez sur des quick wins de décarbonation (impact P&L rapide).
Anticipez la CSRD, même si vous n’êtes pas encore concernés.
Restez opportunistes sur le calendrier : data rooms et plans prêts 12 mois à l’avance.
Conclusion
Le couple 2024-2025 n’est pas le retour d’un cycle d’euphorie : c’est l’entrée dans une décennie d’investissement utile.
Family offices et fonds recherchent des PME-ETI capables de convertir l’innovation en productivité et en cash. Les marchés secondaires donnent de l’oxygène, la dette privée apporte de la souplesse, et l’État catalyse via Bpifrance et Tibi.
👉 Ceux qui sortiront gagnants seront les dirigeants qui transformeront les contraintes (taux, ESG, data) en avantages concurrentiels documentés et finançables.